dimanche 3 février 2013

Ice(land) save(d)

Nouvelle à la fois extrêmement positive et (quand on creuse un peu...) assez perturbante cette semaine: le tribunal de l'association européenne de libre échange (AELE) a donné raison à l'Islande quant à son refus de rembourser les épargnants britanniques et néerlandais à la suite de la faillite de la banque d'épargne en ligne Icesave en 2008 [1,2]. Très bonne nouvelle car cela paraît tout à fait révoltant qu'un Etat (et donc ses contribuables!) doive payer la facture de la faillite d'une entreprise privée à l'étranger. Sur son propre sol, l'Islande a pu nationaliser la partie "dépôts" de Landsbanski (la banque qui possédait la filiale Icesave) et rembourser ainsi ses citoyens avec le montant de ces dépôts (suffisants à cette fin, si j'ai bien compris) [3]. Par ailleurs, les citoyens britanniques et néerlandais ont été remboursés par leur propre Etat, et, lorsque le démantèlement de la branche financière de Landsbanski sera finalisé (c'est-à-dire, notamment, lorsqu'elle aura été remboursée des prêts "safe" qu'elle a accordés), il devrait y avoir assez dans ses caisses, selon les estimations de l'Islande, pour rembourser les Etats britannique et néerlandais pour leur avance. Il n'y a donc absolument aucune justification à ce que l'Etat islandais s'endette pour boucher ce trou en attendant. Trou qui, d'ailleurs, est inexistant en ce qui concerne le Royaume-Uni. En effet, le R-U n'avait pas hésité en 2008 à invoquer une loi anti-terroriste (!) pour saisir les avoirs de Landsbanki sur le sol britannique (la décision a été effective en... 10 min), et a pu ainsi récupérer intégralement la couverture qu'elle a fourni à ses épargnants [3,4].

Ce qui est perturbant, c'est que la décision du tribunal de l'AELE est indépendante du fait qu'il s'agisse d'épargnants étrangers à l'Islande (sinon, il y aurait "discrimination", selon la législation européenne), et qu'elle repose en vérité sur le fait... qu'il n'est pas clair (du point de vue juridique) qu'un Etat doive activer la garantie bancaire (vous savez, ce plafond de 100000 euros soit-disant garantit à tout épargnant en cas d'une faillite d'un banque...) en cas de crise systémique [1]. Or, on ne voit pas vraiment quelle autre situation qu'une crise systémique pourrait conduire à la demande d'activation de ces garanties! Cela fait froid dans le dos car cela signifie qu'en réalité, RIEN n'est garanti.
Mais, quand on creuse un peu plus, on se rend compte qu'en fait, c'est tout à fait normal: que soit à l'étranger ou sur son territoire, il n'y aucune raison pour qu'un Etat doive payer la facture des activités douteuses d'une banque privée! L'Islande a eu le cran (et la mobilisation de ses citoyens n'y est pas pour rien...) de nationaliser ses banques en faillite (contrairement aux Etats de l'UE...), et la chance (?) que cela suffise à rembourser intégralement ses épargnants (sans limite, semble-t-il [3]).
Ce qu'il faudrait en réalité, pour qu'on puisse dormir tout à fait tranquille sans devoir mettre sa fortune sous son matelas (pour autant que cela même autorise un sommeil serein...), c'est qu'il existe des banques publiques, dont l'activité serait purement du dépôt et où par conséquent le citoyen pourrait placer son argent en toute sécurité. Car même la possibilité de pouvoir nationaliser une banque privée en cas de faillite ne garantit pas que la réquisition de ses avoirs permette de rembourser intégralement les épargnants... Evidemment, il faut ajouter à cela (ce qu'on ne fait pas non plus chez nous actuellement ...) la poursuite des responsables pour leur faire payer le maximum possible de la facture qui leur incombe (le reste étant payé par un séjour proportionné à l'ombre).

[1] http://www.europolitique.info/business-comp-tivit/affaire-icesave-le-tribunal-de-l-aele-donne-raison-l-islande-art347571-8.html (malheureusement plus accessible gratuitement)
[2] http://cadtm.org/Le-tribunal-de-l-AELE-rejette-les
[3] Les Economistes Atterés, 20 ans d'aveuglement - l'Europe au bord du gouffre, pp 109-153 (l'article à l'origine du chapitre est téléchargeable sur http://www.guengl.eu/uploads/_old_cms_files/Economiste%20Atteres%20Note%20atterres%20sur%20la%20crise%20islandaise(1).pdf)
[4] http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2008/oct/10/marketturmoil-iceland